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La Légende de la Belle Justine
Retour à l'Histoire du Diois : iciNid d'aigle au sommet de deux rocs jumeaux perçant la forêt dans un site rustique, à 806 mètres d'altitude, bombardé, par les troupes autrichiennes qui occupaient le pays en 1815, apparaissent encore non pas de vielles demeures féodales avec tours, donjon et village placé sous la protection d'un ancien château fort, mais de modestes ruines, qu'il est bien difficile de rétablir, même en imagination, tel est le château dit de la Belle Justine.
Les deux monticules restants
On ne peut y acceder de nos jours que par une escalade qui demande de l'agilité et même de l'audace. Les rocs parallèles allongés d'une centaine de mètres, sont séparés par un couloir étroit qui suit la pente de la montagne et se trouve maintenant jonché de cailloux disjoints, ayant servi aux constructions supérieurs.
Quand on franchit le torrent, roulant aux grosses eaux, des vagues qui produisent un bruit singulier de décrochement et n'est qu'un mince filet d'au pendant les étés torrides, il faut encore suivre un étroit sentier aménagé aujourd'hui par l'administration de l'O.N.F (Organisation Nationale des Forêts), autrefois uniquement parcouru par quelque troupeau de voisinage.
Vue du haut des ruines
Or ce site a son histoire, ou plutôt sa légende. De génération en génération, on y rapporte la malheureuse existence d'une jeune fille, répondant au prénom de Justine, jadis fixée au sommet de l'ermitage, où s'écoulait la mélancolie de ses jours sans éclat et sans charmes, ce que l'on comprendra quand l'on saura que cette jeune fille était affligée d'un visage plus que trivial, étrange, déconcertant, n'offrant aux yeux de tous qu'un aspect repoussant et douloureux.
Cependant, cette enfant que l'on serait tenté de considerer comme la plus misérable des créatures, sut se hausser au rang des héroines locales, et elle est devenue, dans la mémoire des habitants du pays, l'objet d'une vénération que le temps ne parvient pas à affaiblir, mais à laquelle il demeure de plus en plus en plus fidèle, et ce n'est pas sans fierté que l'on montre et que l'on nomme le mystérieux château de la Belle Justine aux excursonnistes avides de recueillir le témoignage des siècles passés. Belle, Justine l'était sans doute aux yeux de ses parents.
Mais il fut impossible de soutenir longtemps cette opinion maternelle. Il fallut bien se rendre à l'évidence. Dieu avait donné un monstre comme descendance à deux des époux les plus nobles et recommandables de la région. Pour racheter la laideur de son visage, l'enfant n'avait que la beauté de ses yeux couleur de noisette et celle d'un corps immaculé plus blanc que la neige. Sans méchanceté ni ironie narquaoise, mais avec un sentiment d'affectueuse sympathie qui dure encore, les contemporains de la jeune fille comparèrent les lèvres et les dents aigues qui dépassaient les commissurs à un groin de porc.
Mais en portant sur l'enfant un jugement que l'on aurait eu en toute espèce raison de déclarer au moins impertinent, on ne disait pas tout. Pour comble de disgrâce, l'enfant était née sans bras; des moignons privés de mains en tenaient lieu.
Un des deux monticules
Le sort de la pauvre enfant apparut donc comme celui de la plus désheritée des créatures humaines et ce n'est que par les vertus de l'âme, Justine devint dans l'esprit de ses contemporains une héroine à laquelle s'attache un souvenir encore très vivant.
Sa fammille était alliéee à celle du comte Izoard, seigneur d'Aix, de Justin et d'autres lieux. Elle fut toujours aimée par un père qui la tint pour un dont precieux du ciel; c'est qu'un timbre d'or résonnait déjà dans sa voie enfantine.
Au milieu de toutes ses infortunes, les ans ne firent qu'accroître ce rare présent; on en oubliait la laideur. Avec les années, sa démarche mise en valeur par une taille admirable de reine ou de fée, fait une souplesse et une beauté qu'on aurait pas rencontrer ailleurs. Recouverte d'une sorte de chaperon qui avançait jusqu'à lui couvrir une partie du visage, la jeune fille bravait parfois des demis sourires et les muets sarcasmes.
Soutenue par le renom de son père dont elle constituait l'unique lignée, nul, dans les moments de péril public, n'osait contester sa parole, et à la sagesse, s'unissait la hardiesse impétueuse si utile, dans les temps de troubles que traversait le pays; elle avait été admise au Grand Conseil de Défense. Cette jeune fille si disgraciée était une des forces de la cité.
Mais il devint bien difficile de dissimuler toujours les réalités affligeantes qu'entrainaient à leur suite des défauts physiques si évidents. On ne prenait pas toujours la peine de les taire ou de paritre les ignorer. Sur les conseils d'un digne prêtre, dans le but de la oustraire à la vue journalière de son entourage, et afin de se consacrer plus complétement à l'éducation de la jeune fille, dont l'intelligence apparaissait de jour en jour comme des plus vives, ses parents conçurent l'idée de la placer en un lieu isolé, loin de tout contact et ils choisirent le lieu que nous avons décrit au début.
Eloignée de toute société, la jeune fille s'interessa ardemment aux choses de la nature; elle put passer de longues heures dans la solitude de la montagne. Elle en entendit les voix, tantôt mélancoliques, tantôt joyeuses, le vent frappant les grands pins, l'oiseau entonnant la chanson.
Le jour, aux heures d'été, quand le soleil frappe d'aplomb le roc du Bât de l'Aneou égrène ses rayons dorés dans le quartier de Vole-Oiseau, elle se plaisait à écouter, haletante et émue le murmure confus de la vallée, rythme divin de la lumiere et du travail, qui enchante l'âme et endort les sens. La hache du bûcheron, décochant des coups secd et retentissants, qui venaient jusqu'à elle, l'emplissait d'émoi. La nuit, par de beaux claires de lune, sa pensée courait sur les sommets, ou bien se complaisait au chant sublime du rosignol. Et le père et la mère se suspendaient à ses lèvres pour jouir de l'harmonieuse pureté de sa voix d'or, lorsqu'elle exprimait des pensées multiples sur les impressions qui agitaient son âme.
Une difficulté considerable était son alimentation. Privée de tout moyen de préhension, ses parents s'etaient jusque dévoués pour lui presenter le nécésaire. Le père jugea qu'elle pourrait peut-être apprendre l'usage d'une auge, spéciallement construite pour elle. Il la voulut d'or massif et en confia la fabrication à une orfèvre de la ville. La jeune fille en tira un parti admirable qui rejouit les siens, et jamais plus elle ne recourut aux bras étrangers. On dit qu'à sa mort l'auge est restée dans la demeure de la jeune fille, où l'on peut s'evertuer à la rechercher.
Un autre ennui était pour la jeune fille la privation des offices religieux dont elle écoutait dévotement, chaque dimanche, l'appel qui résonnait au loin.
Un autre
La piété tendre et forte, la porta à désirer y assister à l'abri de la foule curieuse, toujours disposée à chichoter sur son passage. Toujours au fait des mondres caprices de sa fille, son père, dit la légende, fit creuser un long tunnel qui partait du château minuscule et le reliait à l'eglise cathédrale de la paroisse. Dimanche et jours de fêtes, Justine accompagnée de son père lui-même, partait de grand matin et gagnait sa place disposée sous la chaire, et d'où elle pouvait tout voir et entendre sans être vue elle-même. Le retour s'effectuait par le même chemin.
Mais vinrent les troubles les plus violents que la région eut à subir. Issus des vallées du Pô et de l'Adige, un peuple de barbares jeta la terreur dans la cité; ce fut une épouvante générale. Ces guerriers, appelés Lombards, vêtus de peaux de bêtes, combattaient sans accorder jamais de quartier et se plaisaient à façonner des coupes pour leurs orgies avec les cranes de leurs ennemis. Et ce n'était pas un simple ramassis de partisans, mais une véritable armée sous un chef des plus féroces nommé Zaban.
On s'enfuit de toutes parts, cherchant des refuges aux montagnes. Comme les villes italiennes, la plupart des villes liguriennes de ce côté-ci des Alpes, Briançon, Embrun, la Bâtie Montsaléon avaient été contraintes d'ouvrir leurs portes. On racontait qu'un roi des Lombards Alboin, avait tué un roi, son adversaire, épousé sa fille la belle Rosamonde, et avait poussé la barbarie jusqu'à forcer celle-ci à boire dans le crâne de son père. Rosamonde s'était vengée il est vrai en faisant massacrer Alboin par deux de ses fidèles. De partout les habitants s'enfuyaient; il en monta jusqu'au château de la Belle Justine où parvint ainsi la terrible nouvelle de la decente des barbares par l'étroite vallée de la Drôme. Le territoire du Dauphiné fut envahi jusqu'au voisinage du Rhône; mais la ville sainte, où s'était conservé pendant de si longues années le renon de la déesse Cybèle, Die avait fermé ses portes devant l'avalanche et les populations, sur les conseils de Justine, de son père, réunis avec les syndics en un conseil de défence avait décidé une resistance à outrance. Les remparts se garnirent de troupes de bonne volonté et les portes furent gardées nuit et jour. Des assauts réitérés furent dirigés contre la forteresse et l'enemi tenu en respect. Les nombreuses alertes, notamment celles de la tour Ste Agathe et de la tour de Brion, furent repoussées avec pertes pour les assiégeants
Encore une vue d'en haut
La tour Ste-Agathe, construite, disait-on, à l'epoque sarrazine, dominait l'etendue qui va vers Romeyer. Profitant des ombreset du silence de la nuit, un groupe de partisans avait réussi à y appliquer des échelles qui permirent aux assaillants de s'elever jusqu'au sommet. Mais un guetteur habile les dépista; il reveilla les défenseurs de la tour, qui jetèrent l'alarme dans la ville entière. Les assaillants furent repoussés dans le vide et l'on vit le lendemain sous les echelles abandonnées des cadavres en grand nombre.
La tour de Brion, qui flanquait l'angle des remparts dominants la Drôme, entre la porte St-Pierre et la porte Englène, reçut une visite analogue. Par l'appât de l'or, on en corrompit le gardien et déjà la masse des barbares s'apprêtait à penetrer par une poterne laissée ouverte comme par hasard, lorsque survint un capitaines des rondes qui ordonna de sonner le toscin dans la nuit et sous une pluie battante. C'etait la cloche d'argent reservée aux circonstances les plus tragiques.
Mais la ville était appauvrie de défenceurs. Apres avoir pillé la campagne sur tous les points, affamée, la horde barbare devait donner le lendemain l'assaut suprème. On supputa les chances de réussite de la défence; on s'aperçut que la cité avait tant souffert qu'elle etait positivement à bout.
Entre les deux tas de ruine
Un dernier conseil eut lieu où les défenceurs donnèrent leurs impressions. Un exode général pouvait avoir lieu par le tunnel qui reliait l'eglise cathedrale au château de la Belle Justine.
Ce fut long, difficile à exécuter, quelque petit que fut le nombre des hommes valides, mais enfin le départ se fit.
On avait recommandé le plus grand silence, que tout le monde observa. Justine ne voulut point oublier la fameuse cloche d'argent qui avait souvent exalté les courages. Confiée aux mains de son père et de ses proches, la cloche s'en alla, elle aussi vers les montagnes que gagnèrent tous les gens valides, pendant que les malades et les blessés etaient mis à l'abri dans les profondeur des bois.
La cloche fut ensevellie en un point que nul jusqu'à present n'est parvenu à retrouver, et le lendemain, au lever du jour, l'armée de Kleph pénétra dans une ville vide, sans se douter du stratagème qui avait réussi à sauver du massacre la derniere poignée des défenceurs.
Une autre vue